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L'oeuvre oubliée d'Alicia Penalba : une enquête menée par les Terminales 2022

La Grande Absente
 

L’œuvre oubliée du lycée

Nous avons récemment découvert que l’œuvre renversée et abandonnée dans la cour du lycée Blaise Pascal d’Orsay est une sculpture d’Alicia Penalba intitulée Grande Absente. Elle fait partie d’une série de 3 œuvres du même nom, numérotées, qui ont été réalisées à partir de 1967.


Une des autres œuvres de la série se trouve aussi dans une cour d’école, à Soest, une ville allemande proche de Dortmund, une autre se trouve en Argentine, au ministère des Affaires étrangères de Buenos Aires.


L’œuvre du lycée Blaise Pascal résulte d’une commande dans le cadre du 1 % artistique financé par la région. En effet, depuis 1951, pour promouvoir la création artistique et la financer, une part du budget des architectures publiques est placée dans des œuvres telles que la Grande Absente d’Alicia Penalba.

  • Contexte de l'oeuvre
     

A la fin des années 50, le style artistique d'Alicia Penalba connaît une grande transformation, comme la chenille qui devient papillon et déploie ses ailes. En effet, alors que Penalba explorait auparavant la verticalité dans ses œuvres, comme dans la série “Totems”, elle abandonne l'idée du repliement pour déployer autrement ses œuvres. L'espace et le vide deviennent des éléments clés de sa création. Dans Grande Absente, l'artiste s'inspire d’une série précédente, plus petite, débutée en 1961: “Absente”. Les éléments y sont resserrés sur eux-mêmes et se rassemblent en un mouvement ascensionnel de volumes en équilibre instable, ce qui suggère l’élan d’un envol.

Les œuvres de cette première série sont bien plus petites et faites d’éléments plus fins, plus étirés, et empilés avec des décalages plus marqués que dans la série Grande Absente. L’Absente est bien plus massive et droite mais également plus centrée, comme un arbre. Son socle rectangulaire plus grand qu’elle lui donne de la hauteur. De plus, un contraste se crée entre ses lignes verticales et celles plus courbes et horizontales de l’œuvre et la met alors en valeur.

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Absente, Alicia Penalba , 1961, bronze avec patine brun foncé - 66 x 67,3 x 3061,5 cm.

  • Description
     

Grande Absente est une sculpture abstraite assez imposante. D'une part par sa hauteur, 2 mètres de haut. Mais aussi par ses jeux d'équilibre et de décalage. Un effet monumental se dégage en effet de cette sculpture qui se compose de formes géométriques empilées les unes sur les autres. Les formes sont décalées, brutes, cassantes, tranchantes, et ne pointent jamais vers la même direction, créant une sculpture à la force puissante. Ce sont des formes organiques qui font penser à des roches placées dans un paysage violent, comme dans un relief brutal à 90 degrés. On y retrouve peut être l'influence de l’enfance de l’artiste en Patagonie : un paysage avec des montagnes, ou des strates minérales. Il y a un jeu sur les pleins et les vides, ce qui demande une extrême rigueur pour que l’œuvre ne soit pas instable. Penalba semble rechercher l'équilibre dans le déséquilibre. La statue, pourtant statique, paraît alors en mouvement.


Cela suggère aussi une forme de croissance, comme pour les végétaux. L’œuvre est faite de bronze sombre sur un socle en pierre. Dans ses créations, Alicia Penalba n'utilise jamais le même socle. Elle l’adapte en fonction de ses créations et de l'environnement. Avec le bronze, Penalba choisit un matériau dont la couleur varie en fonction de la lumière et met en avant les lignes tranchantes et organiques de l'œuvre. Les formes organiques permettent à la sculpture de se fondre dans le décor ; elle passe presque inaperçue, ce qui est particulièrement adapté pour une installation en extérieur. La sculpture s’insère d’autant plus dans le paysage que l’aspect minéral du bronze fait penser à de vrais rochers.

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Grande Absente, Alicia Penalba, 1967, Orsay

Photographie S Guillin, 2022

  • Processus de création
     

  • Titre de l'oeuvre
     

L’Absente est devenue Grande absente. Ce changement de nom est dû au changement de proportions. En effet, l'œuvre du lycée est beaucoup plus grande et imposante (67 cm pour Absente, 2 mètres pour Grande Absente).

 

Le titre paraît assez mystérieux pour une œuvre abstraite et laisse notre choix d’interprétation totalement libre. Dans le contexte du lycée d’Orsay, le titre de cette œuvre semble assez ironique : "Grande Absente" prend place dans une cour de récréation où elle peut évoquer l'absence ou la présence des élèves. De plus, cette sculpture est bien présente et occupe une place importante dans la cour, mais elle est aussi celle qui restera absente, qui ne sera jamais amenée à assister aux cours. Elle ne répondra jamais "présente" à l'appel…

Penalba fait dans un premier temps un prototype en plâtre pour créer un moule. Après séchage, pour passer du modèle en plâtre au bronze, elle utilise la technique de la fonte à la cire perdue. Le bronze en fusion est coulé dans un moule autour d’un noyau qui sera ensuite retiré. Ceci explique pourquoi l’œuvre en bronze est creuse. La sculpture creuse à l'intérieur a l'avantage d’être plus légère.

Lucie Esnault, Tom Richer, Jeanne Guillemain et Alice Payet.

Qui est Alicia Penalba ?
 

Sculptrice très célèbre dans les années 50 et 60, Alicia Penalba est née à San Pedro en Argentine le 9 août 1913. Elle grandit en Amérique du Sud où son père construit des chemins de fer : au Chili, en Patagonie et dans la province de San Juan près de la Cordillère des Andes. Pendant toute son enfance, elle est sensible aux paysages montagneux qui l’entourent ; ils lui permettent de fuir la violence de son père et les tensions familiales. En 1927, alors qu’elle n’a que quatorze ans, elle quitte sa famille, travaille comme secrétaire et suit des cours du soir en dessin. Trois ans plus tard, elle rentre aux Beaux -Arts de Buenos Aires.


En 1948, grâce à une bourse du gouvernement français, Alicia Penalba s’installe à Paris et fait de la gravure. Elle travaille avec Zadkine, côtoie Giacometti, Brancusi. Dans les années 50, elle emménage dans un atelier situé à Montrouge et se lance dans la sculpture abstraite. Car l’abstraction domine à l’époque, notamment avec la Nouvelle Ecole de Paris. Ses talents de sculptrice sont rapidement mis en avant par la Galerie du Dragon qui lui consacre en 1957 une première exposition. La rencontre avec Claude Bernard est aussi décisive. Ce grand galeriste parisien lance sa carrière en diffusant ses œuvres et en la faisant accéder au marché international. L’année suivante, elle est ainsi exposée au prestigieux Musée Guggenheim de New York. Elle est alors l’unique femme artiste présentée.

En 1961, elle gagne le grand prix international de sculpture à Sao Paulo, ce qui constitue un événement majeur dans sa carrière. Ses œuvres sont alors exposées et diffusées un peu partout dans le monde : en Suisse, en Allemagne, en Italie, en France, aux Etats Unis, au Venezuela, au Japon. De nombreux musées achètent ses œuvres.
 

A la fin des années 60, Penalba installe son atelier dans le Marais, à Paris, et le Musée d’art moderne de Paris lui consacre une rétrospective. Dans les années 70, Penalba étend son univers artistique aux arts décoratifs. Elle crée alors aussi bien des bijoux que des vases en porcelaine ou des tapis. Elle expose parallèlement plusieurs sculptures monumentales, s’affirmant dans un milieu où il était rare de voir une femme. Elle était d’ailleurs consciente de la difficulté pour les femmes de devenir sculptrices : "La femme a été bloquée, elle a été associée à une fonction dans laquelle elle n’était pas autorisée, elle n’a pas été autorisée à prendre le burin comme je le fais aujourd’hui”.

 

En novembre 1982, sa voiture est fauchée par un train, et elle meurt sur le coup avec son compagnon. Après sa mort, comme beaucoup de femmes artistes, Alicia Penalba disparaît aussi des mémoires.

Roxane Mazaheri, Corentin Nativel, Virgile Rondeau.

L'enquête autour de l'oeuvre
 

En 2022, le lycée Blaise Pascal d’Orsay redécouvre enfin une magnifique sculpture de l’artiste argentine Alicia Penalba – et cela environ 54 ans après l’installation de celle-ci dans la cour du lycée. La surprise qu’a suscitée cette redécouverte a entraîné une enquête menée par les professeurs et les élèves. De nombreux élèves se sont mobilisés, notamment le groupe de terminale spécialité histoire des arts de Blaise Pascal et les éco-délégués, afin de faire renaître la mémoire de cette artiste. D’autres élèves, en espagnol, doivent aussi prendre le relai. Nous avons, quant à nous, cherché à recueillir des témoignages pour retracer les étapes de cette enquête.

Madame Nabli, enseignante de Science et Vie de la Terre et dirigeante des éco délégués du lycée, est à l’origine de la redécouverte de l’œuvre. C’est lors du projet verdissement mis en place par les éco-délégués (réaménagement financé par la région Île de France d’une partie de la cour avec un coin méditerranéen) que la sculpture a été redécouverte. Les éco délégués cherchaient à créer un coin convivial sur la butte du lycée, ils voulaient alors installer une table en palette sur le socle d’une sculpture renversée que beaucoup considèrent à ce moment-là comme un rocher. Madame Nabli a d’abord fait une demande au proviseur pour déplacer l’œuvre devant le bâtiment des CPGE. Mais se voyant refuser le déplacement de celle-ci, elle a commencé à enquêter sur cette œuvre mystérieuse. Quelle n’a pas été sa surprise quand en discutant avec Monsieur Bernaud, ancien professeur de svt, il lui a montré un livre destiné au pilon qu’il avait récupéré au cdi. Ce catalogue sur Alicia Penalba contenait des photographies qui avaient de grandes similitudes avec la sculpture du lycée. C’est alors que madame Nabli décide de faire part de sa découverte aux éco délégués et à madame Guillin, professeur de français et d’histoire des arts au lycée.


Madame Nabli nous a depuis a confié qu’elle trouvait beau et symbolique le fait que cette sculpture, qui par ses formes peut évoquer un arbre, ait été redécouverte durant un projet verdissement… et qu’un arbuste ait commencé aussi à pousser entre les pans de la sculpture renversée.


Elle a aussi été tout à fait marquée par l’invisibilisation de cette sculpture « Comment on a pu la laisser ainsi ? Elle est passée totalement inaperçue !» De plus, comme la statue relève du 1% culturel du lycée, madame Nabli souligne qu’ «on se doit de la rénover ».

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Buisson poussant à travers Grande Absente, Orsay

Photographie S. Guillin , 2022

Madame Guillin, professeur de français et d’histoire des arts au lycée Blaise Pascal, s’est montrée très surprise par cette sculpture, située en retrait de la cour : en 22 ans de travail au lycée, elle ne l’avait jamais remarquée. Le premier jour de son enquête, elle dit elle-même n’avoir pas eu beaucoup de temps pour y penser et n’a fait que contacter son réseau d’anciens élèves pour espérer trouver une piste. Puis elle regarde sur internet et découvre qu’une exposition sur Alicia Penalba vient de se terminer à la Galerie Fleury, en collaboration avec la maison de l’Amérique latine à Paris. Elle contacte la galerie pour identifier la sculpture, mais au téléphone, les galeristes sont dubitatifs. Elle leur envoie tout de même plusieurs photos. N’ayant pas de réponse dans les jours qui suivent, elle décide d’aller sur place. Dans le même temps, un ancien élève lui envoie la sculpture de Buenos Aires, Grande Absente qui ressemble énormément à celle du lycée Blaise Pascal. Elle trouve aussi une photographie de deux sculptures plus petites : Rumeur d’ailes, et Absente. Elle commence son enquête de terrain en se rendant à la Galerie Fleury, malheureusement fermée le samedi matin.

 

Elle réorganise donc son planning et passe voir en début d’après-midi Claude Bernard, premier galeriste avec qui Alicia Penalba a travaillé. Ils discutent un moment d’Alicia Penalba. Elle en apprend d’avantage sur le caractère de l’artiste, une femme de tempérament, brute et difficile mais au travail très intéressant. Claude Bernard dit ne plus avoir beaucoup de souvenirs, et suggère la piste d’une galeriste suisse avec qui Alicia Penalba a travaillé… mais qui est aujourd’hui centenaire. En effet, les gens ayant vraiment connu Penalba sont presque tous morts. Claude Bernard conseille également d’aller chercher sur la sculpture le sceau du fondeur, et de contacter ce fondeur pour identifier l’œuvre : la fonderie Susse, avec laquelle Penalba a travaillé, existe en effet encore en régionparisienne. Enfin, il conseille de passer à la galerie Lelouch, qui a réalisé une exposition Penalba en 2019. Madame Guillin est frappée en rentrant dans cette galerie par le nombre de sculptures de Penalba de toutes tailles qui s’y trouvent. Le galeriste n’étant pas là, elle montre une photo à son assistante qui l’envoie à son patron. Mais rien n’aboutit encore.Madame Guillin retourne alors à la Galerie Fleury. Le galeriste est lui aussi convaincu : il s’agit bien d’une œuvre de Penalba, et visiblement, s’il pouvait l’acheter, il le ferait. Il explique dans un premier temps l’importance de son travail de réexposition des œuvres de Penalba, dans sa galerie, et sur les marchés internationaux, pour faire ressortir de l’ombre cette artiste.

Cela a des conséquences : « il y a 5 ou 6 ans ça ne valait pas grand-chose, aujourd’hui c’est différent ». En effet, la cote de cette artiste augmente, et des œuvres moins grandes que celles du lycée peuvent atteindre 40 000 euros. Il parle ensuite du coût des restaurations car pour un petit modèle, les frais peuvent s’élever à 1000 euros, donc pour un modèle grand d’environ 2m comme celui du lycée, les frais pourraient atteindre 50 000 euros. Il y a donc un risque que la région ne veuille pas mettre autant d’argent pour la restauration. Il ressort ensuite des catalogues raisonnés pour identifier la sculpture. Le galeriste pense qu’il s’agit d’une variante de la série Aile Alix, de 1961, et Madame Guillin pense à la série des Absentes. Dans un des catalogues raisonnés, le modèle d’Orsay est répertorié : il s’agit de “Grande Absente”, bronze de 1967, coulé par un fondeur italien, numéroté 3 sur 4 , les autres numéros de la série étant en Allemagne et à Buenos Aires. Madame Guillin garde contact avec le galeriste afin de lui transmettre d’autres photos qu’il va ensuite envoyer en Argentine, aux Archives Penalba, car il n’y a là-bas aucune image de cette œuvre.


C’est donc maintenant à nous d’agir et de nous engager afin de sauver cette œuvre. Le lycée n’ayant gardé aucune trace de celle-ci, nous avons envoyé un courriel à la Mairie d’Orsay pour avoir accès aux archives de cette époque. Cela permettrait de trouver davantage d’informations sur cette œuvre, voire même des photographies de son installation et/ou inauguration. Nous voudrions aussi interviewer les galeristes qui participent à la redécouverte de Penalba. Avant la fin de l’année, rien de matériel n’aura été sûrement réalisé mais nous souhaiterions rendre compte de l’investissement des élèves et des professeurs dans différents domaines afin d’alerter la région. Nous voulons aussi monter un projet pédagogique qui signifierait quelque chose pour les prochaines générations d’élèves. Nous souhaitons diffuser la connaissance de l’œuvre au sein de notre lycée par des affiches, par le journal du lycée, par des sondages. Contacter aussi des journalistes, et faire circuler l’information au niveau de la commune voire du département. Tout cela permettrait de se mobiliser à plus grande échelle et de trouver les fonds possibles pour une future restauration.

Notre but final est de redonner un nom, une plaque à cette œuvre, de faire prendre conscience du talent et de l’importance de cette artiste femme qui s’inscrit dans la Nouvelle École de Paris. Réécrire un pan oublié de l’histoire des arts pour, à notre échelle, rendre visible les femmes dans l’art.

Julie Bernard et Melody Dufour.

Alicia Penalba,
une oeuvre plurielle

Alicia Penalba est une artiste qui a su diversifier son œuvre. Rompant avec le figuratif, elle a créé un style abstrait, mêlant l’organique et le géométrique . Un style qu’elle travaille durant toute sa carrière, en essayant sans cesse de le renouveler, de le moderniser, tout en lui restant fidèle.
 

« Les formes que je veux matérialiser ne peuvent ressembler à rien qui existe. Pour moi une sculpture doit évoquer avant tout ce qu’a voulu son créateur »

Alicia Penalba, 1951.

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Alicia Penalba travaillant sur une œuvre.

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Trois totems d’amour,  galerie Fleury, bronze,  136 x 26 x 20 cm - 1954.

 

Alicia Penalba crée en 1954 Trois totems d’amour, trois sculptures de trois tailles différentes qui créent un ensemble. Ici Alicia Penalba explore la hauteur en créant des formes superposées et verticales. Comme des totems, les sculptures cherchent à monter vers le haut, des pics se détachent, accentués par le vide et le volume intérieur creusé.

Chrysalide (2), bronze, fonte à la cire perdue,

45 x 83 x 46,5cm- 1956 / 1961.

Fondeur Valsuani (Atilio) 1961, 6 exemplaires, dont 1 au centre Pompidou

L’oeuvre semble s’étaler de manière horizontale plutôt que de s’étirer verticalement. Le titre suggère les inspirations organiques de l’artiste, tout en restant dans un univers abstrait.

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lAlicia Penalba posant devant son œuvre “Grand double”   -  1979.

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Grand Double - Bronze, 840 x 440 x 405 cm, Martigny (Suisse), Fondation Gianadda, Parc de Sculptures.

 

Alicia Penalba se fait aussi  une place dans le monde de l’art grâce à ses statues monumentales, des statues qui dépassent l’ordre de l’échelle humaine, comme ce Grand Double qui mesure plus de 8 mètres. Les blocs sont massifs et épais donnant une impression de puissance et de stabilité. Le bronze, une fois oxydé, donne une couleur verdâtre à l’oeuvre, l’intégrant donc au paysage.

Alicia Penalba est en outre en constante exploration.  Elle diversifie ses supports et ses matériaux d’expression.  Sa démarche peut s’apparenter  à celle d’une autre artiste femme, Sonia Delaunay, qui s’exprimait aussi bien à travers les beaux-arts qu’a travers les arts appliqués. 

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Esquisse n°9, Bronze à patine doré, 24 x 17 x 18 cm, 1981.

Ici encore Penalba  fait preuve d’un grand travail de recherche sur les formes. On peut observer des formes géométriques plus brutes rappelant les formes géométriques mais irrégulières des cristaux. Alicia Penalba s’inspire directement de la nature. 

L’œuvre est au bord du déséquilibre: les éléments semblent presque détachés , prêts à tomber.

Contrairement aux œuvres précédentes, Penalba se concentre sur l’aspect brillant du bronze, qui séduit par ses reflets. Ces recherches de matériaux révèlent  le souci d’ouvrir son art à  de nouveau horizons tout en préservant son identité.  Ce travail de petite taille constitue une  sorte de transition vers la création de  bijoux.

Lithographie originale signée  – 1976.

 La lithographie est  une technique d’impression par gravure sur pierre. cela permet à Penalba  de reproduire à l’infini ses motifs, tout comme les moules utilisés pour ses sculptures. 

L’impression par la pierre calcaire donne un aspect fantomatique aux traits : les formes s’effacent. De plus, ces formes semblent flottantes et détachées. Alicia Penalba exploite l’absence de gravité à travers la 2D, qui lui donne plus de liberté dans son expression plastique.

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« Sans Titre », papiers de soie, 49,5 x 64 cm  - 1979.

Avec ses collages de papier de soie coupés grossièrement ou déchirés,  Alicia Penalba peut se détacher des limites physiques de la sculpture. En effet la bidimensionnalité du papier offre une liberté quant à l’utilisation de l’espace et à l’équilibre que Penalba veut donner à ses œuvres. Par ce collage, on peut voir qu’ Alicia Penalba accorde une grande importance au vide dans ses œuvres. Elle crée un jeu de déséquilibre qui apporte pourtant une harmonie dans la composition du collage. 

Dans ses différents collages,  elle joue avec la transparence du matériel exploité, le papier de soie, une nouveauté chez elle car jusque-là, elle utilisait du métal (ou dans certaines installations, des dérivés de plastique).. Cette transparence permet de créer des mélanges entre les couleurs quand elles se croisent et de laisser apparaître librement toutes les formes du collage. Cela donne un aspect plus naïf et spontané à son œuvre, les couleurs vives lui donnent aussi un côté gai. Cette sensation de gaieté est accentuée par le déséquilibre des formes qui suggère le mouvement.

 

Tapis « Jeux d'ombres » , laine de couleur, 210 × 270 cm  - 1982.

Alicia Penalba exploite de nouveau la bidimensionnalité de ses travaux de collage pour créer des tapis avec la manufacture des Gobelins, associant modernité et tradition. Le tissage utilisé ici, lui permet d’user d’une grande liberté de choix de couleurs. Elle crée de manière artificielle ses propres effet de transparences, en créant ainsi de “faux” mélanges de couleurs, qui viennent interpeller l’oeil et donner du rythme au tapis. Elle fait un usage graphique de la tapisserie, en gardant toujours les formes irrégulières et anguleuse. Le blanc qui encadre le bleu vient ajouter de la lumière et met en valeur les couleurs et les formes. L’idée de mouvement  et de déséquilibre harmonieux est toujours présente. Avec le tapis, elle crée en outre des effets de textures et de reliefs, qui rappellent ses sculptures.

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Collier en bronze doré retenant un pendentif en chute de motifs géométriques. Signé AP. Edition Artcurial numérotée.

Ce collier en bronze doré oppose la géométrie régulière des maillons de sa chaîne, avec son médaillon, qui semble tenir sur un équilibre précaire et purement naturel d’éléments cristallisés. On peut voir par cette illusion la précision de la technique de Penalba concernant l'équilibre des volumes, ainsi que son goût pour  la nature,  la minéralité et les contrastes. 

Les formes à la géométrie irrégulière du pendentif s’enchaînent de manière intuitive, comme si elles s'auto-créaient, tandis que la chaîne exprime la minutie du travail de joaillier.

 

Collier ‘Myriade’, 1972

Pour son collier Myriade, Alicia Penalba couple l’or blanc avec de l’or jaune. La forme épurée  du tour de cou est brisée par la brutalité minérale de l’or jaune, qui semble fraîchement cristallisé sur le collier. La texture polie et froide de l’or blanc est mise en valeur aussi par  le relief de l’or jaune, dont la texture mate ne laisse aucun reflet net mais reste éblouissante par sa couleur. Les éclats jaune de l’or semblent  flotter sur la surface presque liquide de l’or blanc, ils créent aussi des débordements aléatoires qui animent le collier, comme si les feuilles d’or s’étaient posées de manière fortuite et étaient prêtes à s’envoler de nouveau. 

Ce contraste de matériaux et de texture, opposant l’or “naturel” à l’or travaillé par l’homme, nous amène à imaginer que ce collier est  le fruit de la rencontre des caprices de la nature avec la rigueur géométrique de la technique humaine.

En travaillant ses formes à la manière d’une sculptrice, l’artiste explore à travers la joaillerie la richesse et la force de la nature.

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Porcelaine de Sèvres, Céramique, 14,5 × 64,5 cm, 1970 

Boîte "Alicia",  céramique émaillée,  4 x 20 x 12 cm ,1983, numérotée N° 83/90

La céramique, utilisée dans les objets de la vie quotidienne, permet de créer des œuvres fonctionnelles et esthétiques. Penalba exploite les formes épurées de ces objets pour mettre en valeur des motifs irréguliers abstraits. Parfois, ces motifs ressortent de l’objet, donnant ainsi du relief et brisant clairement la régularité plate de l’objet, parfois, ce relief est juste suggéré par de forts contrastes de couleurs. Mais  les teintes sont  toujours réduites et contrastées, et l’effet proche  parfois de la calligraphie . 

Par ces formes hachées  et décoratives, l’objet fixe  se met en mouvement,  et devient dansant.

Masha Zintchenko, Marthe Tougard, Vivien Nicolas et Morgane Boime.

Invisibilisation et redécouverte d'une artiste
 

Comment une artiste aussi connue dans les années 1950-1960 a pu disparaître si soudainement après sa mort ? Comment expliquer que le nom d’Alicia Penalba soit aujourd’hui si peu connu auprès du grand public ? Pourtant de nombreuses œuvres de l’artiste sont référencées dans les collections permanentes de multiples musées nationaux et internationaux. Néanmoins, ces œuvres sont rarement ou peu exposées au grand public ce qui participe à l’invisibilisation de l’artiste. Le cas d’Alicia Penalba illustre donc la situation de nombreuses autres artistes femmes, souvent peu mises en avant par les institutions muséales et effacées par l’Histoire de l’Art après leur mort. Cette question autour de l’invisibilisation de Penalba interroge sur ce que l’Histoire de l’Art garde en mémoire. Bien souvent les artistes masculins ayant marqué leur époque sont glorifiés une fois morts tandis que les artistes femmes sont oubliées, quand bien même elles étaient reconnues de leur temps. 

                                 

En 1967, l’artiste Alicia Penalba réalisait son œuvre “Grande Absente” choisie l’année suivante par la commission du 1% artistique pour être installée dans la cour du lycée Blaise Pascal à Orsay. Quelque années plus tard, en 1982 Alicia Penalba décède des suites d’un accident de voiture. Aujourd’hui, nous avons un véritable “trésor” au cœur même du lycée, mais en piteux état,  et  nous trouvons très peu de documents et d’archives au sujet de “Grande Absente”   ( Ou sur  l’exposition qui s’est tenu sur le campus d’Orsay en 1978 qui présentait aussi une oeuvre de Penalba).

 

Nous avons enquêté auprès d’anciens élèves et parents d’élèves du Lycée Blaise Pascal. Deux parents d’élèves scolarisés au lycée durant l’année 1987-1988 ont témoigné de la présence de la sculpture alors encore debout. Pourtant cette dernière était peu remarquée par les élèves car elle était en retrait dans une zone de la cour peu fréquentée à l’époque. Cela explique peut-être que personne n’ait fait attention à sa chute qui a sans doute eu lieu à la fin des années 80.  A partir de là, “Grande Absente” est  en tout cas davantage vue comme un tas de cailloux que comme une véritable œuvre d’art.

 

On observe cependant sur le marché de l’art, de façon assez récente, une redécouverte de Penalba. Cette redécouverte se fait  grâce à des galeries comme la Galerie Lelouch et la Galerie Fleury qui ont organisé des expositions sur Penalba et ont présenté l'artiste lors de foires internationales ce qui fait circuler les œuvres et monter leur cote. En 2021 notamment, la Galerie A&R Fleury a réalisé une exposition entièrement consacrée à Alicia Penalba en partenariat avec la Maison de l’Amérique Latine, et a édité un catalogue. Cela a permis au grand public de redécouvrir l'œuvre de cette artiste. 

 

La redécouverte des artistes femmes questionne aussi la responsabilité des institutions muséales qui doivent valoriser les œuvres d’artistes femmes d’hier et d’aujourd’hui pour qu’elles aient une visibilité sur le marché de l’art. Quelques commissaires d’expositions ont déjà cherché à affirmer leur engagement auprès des artistes femmes. C’est le cas de Christine Marcel et Karolina Lewandowska qui  ont organisé  en 2021 l'exposition ELLES font l’abstraction au Centre Pompidou. Cette exposition mettait en avant le travail d’artistes femmes qui souffrent d’un manque de visibilité sur le marché de l’art, et on y trouvait une œuvre d’ Alicia Penalba. Mais quels noms retient-on dans une grande exposition collective? C’est par ailleurs dans son pays d’origine que Penalba a  récemment bénéficié d’une grande rétrospective, en 2016-2017, au Malba de Buenos-Aires. L’Argentine semble donc depuis peu sortir de l’ombre et se réapproprier cette artiste majeure.

Sophie Cao et Léa Soares De Almeida.

Recherche menée en février – mars 2022 par les élèves de terminale spécialité Histoire Des Arts du Lycée Blaise Pascal.

Dossier mis en page par Masha Zintchenko et Vivien Nicolas.

 

Remerciements particuliers à Mme Guillin et Mme Nabili sans qui ces recherches n’auraient pas été possibles.

Sources photographiques


Grande Absente, Alicia Penalba -1967 -bronze à Soest : https://www.soester-anzeiger.de/lokales/soest/neuer-platz-sekundarschule-grande-absente-ungefaehrlich-13534573.html


Grande Absente, Alicia Penalba , 1967, Bronze- collection du Ministère des affaires étrangères, Argentine: https://penalba.com/#/escultura/Grande absente


Absente, Alicia Penalba , 1961, bronze avec patine brun foncé : http://www.artnet.fr/artistes/alicia-penalba/absente-cETYBFG3Sy_fdVp5C-d8fQ2


Image d’Alicia Penalba travaillant sur une de ses oeuvres : https://artishockrevista.com/2016/12/13/alicia-penalba-escultora/


Trois totems d’amour, bronze, 1954 : https://www.artsy.net/artwork/alicia-penalba-trois-totems-damour


Chrysalide (2), bronze, fonte à la cire perdue, 1961: https://www.centrepompidou.fr/fr/ressources/oeuvre/cgz9Ad4


Alicia Penalba posant devant Le Grand Double, 1979: http://www.notisanpedro.info/2009/01/sampedrinos-alicia-penalba.html


Grand Double , bronze, 840 x 440 x 405 cm, Martigny (Suisse), Fondation Gianadda: http://mine-dart.blogspot.com/2011/03/artiste-ernesto-neto.html


Esquisse n°9, bronze à patine doré, 24 x 17 x 18 cm, 1981.: https://www.alicia-penalba.com/sculpture


Lithographie originale signée – 1976 : https://www.plazzart.com/fr_FR/achat/alicia-penalba-8679/art-contemporain-20?campaign_code=GM&gclid=Cj0KCQjwvqeUBhCBARIsAOdt45a-GgR51e4IIVjgGCUP9nCfZOh7NJ9w7osWU-aBE81Dp
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« Sans Titre », papiers de soie, 49,5 x 64 cm - 1979: https://jmlelouch.com/createurs-alicia-penalba


Tapis « Jeux d'ombres » , laine de couleur, 210 × 270 cm - 1982: https://www.invaluable.com/auction-lot/alicia-penalba-dapres-1918-1982-tapis-jeux-dombre-77-c-af84d56b45


Collier en bronze doré retenant un pendentif en chute de motifs géométriques. Signé AP. Edition Artcurial numéroté:
https://www.artcurial.com/fr/lot-alicia-penalba-collier-en-bronze-dore-retenant-un-pendentif-en-chute-de-motifs-geometriques


collier 'Myriade’, 1972: https://vsolutions.vn/products/uvled/line/alicia-penalba-bijoux-k.html


Porcelaine de Sèvres, Céramique, 1970 : https://collection.mobiliernational.culture.gouv.fr/objet/GML-10934-002


Boîte "Alicia", céramique émaillée , 1983: https://www.lotsearch.net/artist/alicia-penalba/archive?perPage=80&orderBy=lot-created&order=DESC

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